voûtes en bois
Kırlangıç örgüden çatı - charpentes en nids d'aronde
Il existe en Turquie de nombreux exemples d'un type de charpente peu connu, permettant de couvrir des espaces de plan centré (carrés, ronds, octogonaux…). Ce système est attesté dès l'antiquité et les archéologues l'appellent parfois "voûte galate", en raison du fait que de nombreux exemples se trouvent dans une région d'Anatolie centrale occupée par les Galates après leur défaite contre l'armée du roi Attale 1er.
Comme l'ont montré René Ginouvès et A.-M. Guimiers-Sorbets dans un article déjà ancien¹, ce type de construction se trouve déjà dans la Thrace antique, et il apparaît que les Macédoniens ont répandu ensuite cette technique dans l'orient grec qu'ils contrôlaient après la mort d'Alexandre.
¹ "Voûtes galates et charpentes macédoniennes", Revue archéologique, fasc. 2, (1994), p. 311-321.
Le célèbre tombeau (hellénistique ou romain ?) de Milas (Mylasa, ancienne capitale carienne), connu dès le 17e siècle par les voyageurs occidentaux, offre une version pétrifiée de ce type de couverture, assuré par des poutres en biais qui réduisent progressivement la partie à couvrir en s'appuyant sur le milieu des côtés depuis la forme de base jusqu'au sommet. Dans sa plus simple expression, cette voûte, ou coupole, superpose des carrés tournés à chaque niveau de 45°, d'où l'expression de "carré tournant". On peut imaginer un nombre illimité de figures géométriques en combinant des polygones réguliers à n côtés, le principe du rétrécissement à mesure que l'on monte restant le même.
Cette technique est particulièrement adaptée à des espaces centrés de grande portée.
Ce type de charpente à empilement - ou encorbellement - peut trouver ses origines dans des structures plus anciennes où l'on tresse les petits éléments de bois de façon à réaliser une coupole, à partir de plans ronds ou polygonaux.
R. Ginouvès pensait que le motif de la mosaïque qui se trouve dans une des salles du palais macédonien de Vergina reproduisait, au sol, la géométrie de la charpente faite de carrés tournant, la seule, selon lui, capable de résoudre le problème posé par la portée de 17 mètres entre les murs de cette salle.
Il s'appuyait sur l'exemple du tombeau (dit Gümüşkesen) se trouvant à Mylasa et dont le plafond au décor exceptionnel présente un dispositif semblable, à l'exception de l'octogone qui démarre l'empilement des poutres formant carrés jusqu'au sommet.
Ce système, qui est donc attesté dans l'antiquité, a perduré au cours du temps, notamment en Anatolie, et il est encore utilisé dans des constructions contemporaines.
Une interprétation célèbre, à l'époque baroque, est due à l'architecte-mathématicien Guarino Guarini, pour couvrir l'espace central de l'église du Saint-Suaire à Turin (1668-1690), cette fois-ci à partir d'un schéma hexagonal et non octogonal.
De nombreux exemples existent encore en Turquie, avec des degrés de technicité différents. Certains, qui relèvent de l'architecture vernaculaire, se distinguent par l'emploi de pièces de bois brutes, troncs non taillés.
Dans des maisons de meilleure facture, ou de propriétaires riches (konak), les voûtes sont assemblées avec soin, avec des poutres sciées, et selon des combinaisons changeantes. On retrouve toujours le carré et l'octogone comme figures principales.
L'aspect récurrent de ces structures est le triangle produit par la rotation des poutres entre les milieux des figures. Ce triangle peut être couvert par des poutres parallèles, ou bien d'une façon distincte, à la manière des caissons de plafond de l'architecture classique.
Ce système permet également d'éclairer l'espace couvert, le plus souvent par un lanterneau central.
La grande mosquée d'Erzurum (Ulu Camii)
Le chef-d'œuvre dans le domaine des voûtes tournantes est sans conteste celle qui couvre l'espace central de la grande mosquée d'Erzurum, édifiée, tout de suite après l'arrivée des Turcs en Anatolie, en 1179 (date gravée sur des poutres).
À cette époque-là, les maîtres d'œuvre sont pour la plupart des Arméniens, les Turcs n'ayant pas encore assimilé les leçons d'architectures offertes par les civilisations qui s'étaient succédé sur le plateau anatolien. On ne s'étonnera donc pas de la ressemblance de cet édifice avec l'architecture chrétienne d'occident de cette même époque
La mosquée se présente extérieurement comme un grand quadrilatère couvert par une toiture à quatre pans. L'intérieur, organisé sur un axe médian qui mène au mirhab, est marqué par la présence de deux grands espaces voûtés, l'un, au centre du bâtiment, couvert par des muqarnas inspirés de l'architecture arabe, l'autre, espace principal de prière, par une coupole en bois du type "queue d'hirondelle", exceptionnelle par son plan circulaire et sa portée importante (diamètre 10.75 m).
La coupole est formée par la superposition de 23 polygones centrés et tournants, d'abord des octogones, inscrits dans le cercle de pierre. Entre le quinzième et le dix-septième niveaux, l'octogone fait place à un hexagone, sans doute du fait du rapetissement de la figure tournante.
La transition est assurée de façon quasi invisible au 2/3 de la hauteur de la structure.
Les ouvertures, qui assurent à la fois un apport de lumière et une ventilation de l'espace central, sont ménagées dans trois directions, la quatrième ayant été omise sans doute du fait de la direction des vents dominants, très froids dans cette région.
Coupe transversale sur la Grande mosquée d'Erzurum montrant la voûte en bois au centre
La qualité et les dimensions exceptionnelles de cette coupole en encorbellement, dans un des premiers édifices construits après la conquête turque, montrent l'efficacité de cette technique, dont nous pensons qu'elle avait déjà fait l'objet de réalisations marquantes dans l'antiquité et dont la technique s'était perpétuée dans l'aire géographique de l'Anatolie.
Coupe longitudinale sur la Grande mosquée d'Erzurum, la voûte en bois est à droite
Tombe avec toiture en encorbellement (Gordion, époque hellénistique)
Voûtes en bois contemporaines
Après une période d'oubli, la technique de construction par empilement et rotation est à nouveau réutilisée, non seulement pour des rénovations de bâtiments anciens, mais également dans des constructions nouvelles qui renouent avec ce patrimoine architectural.
Bibliothèque de l'agence d'architecture de
Frank Lloyd Wright à Oak Park, Chicago
(1889)