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Les documents présentés ici sont pour la plupart issus du catalogue de l'exposition consacrée à ce savant et artiste exceptionnel, exposition organisée par Pierre Pinon, architecte historien spécialiste du monde ottoman, qui s'est tenue à Istanbul du 15 septembre au 11 novembre 2006.

Fils d'architecte, Albert Gabriel choisit le même domaine et révèle très tôt sa passion pour les édifices du passé

Comme c'est l'usage à l'époque, il effectue ce qu'on appelle "le Grand Tour", à savoir essentiellement le voyage d'Italie, qui lui permet de découvrir les œuvres du passé dans leur environnement géographique et dans la lumière de la méditerranée.

Tout en poursuivant ses études, le jeune Gabriel entame une série de voyages, d'abord en Allemagne, activité qui sera sa caractéristique première durant toute sa vie. Ses carnets révèlent un talent d'aquarelliste hors pair.

En 1908, Albert Gabriel obtient son premier poste, auprès de l'École française d'Athènes, qui effectue des fouilles archéologiques en Grèce. Il réalise sur l'île de Délos de magnifiques relevés en couleur et participe à l'étude de maisons hellénistiques.

1908-1911 : Voyages en Grèce

1909 : Voyages en Égypte

Filistin,

Kudus ...

Au cours de ses nombreux voyages en méditerranée orientale, ses dessins révèlent un égal intérêt pour les monuments anciens et l'architecture courante traditionnelle, que l'on appelle aujourd'hui "vernaculaire".

À Chypre il découvre, à côté des monuments médiévaux occidentaux  de Famagouste et de Nicosie, l'architecture turque, qui sera l'objet principal de ses travaux durant le reste de sa vie.

À Rhodes, comme à Chypre, coexiste une savante architecture occidentale, en partie érigée par l'Ordre des Chevaliers de Saint-Jean, et des monuments grecs et ottomans.

Il est chargé en 1921 de la restauration de l'Auberge de France et reviendra après la deuxième guerre mondiale travailler sur l'île.

Profitant de son séjour à Rhodes, Gabriel rédige une thèse sur les fortifications de la ville. Ce travail en fait un pionnier dans l'étude du patrimoine militaire.

Parallèlement, Gabriel continue à dessiner les espaces urbains mêlant architectures de cultures et d'époques différentes.

Il s'intéresse bien sûr au fameux, mais insaisissable, "Colosse de Rhodes".

Dans cette île à l'histoire mouvementée, Albert Gabriel  s'éprend de l'architecture ottomane, dont il apprécie l'inscription subtile dans l'environnement et en particulier les paysages naturels.

Pendant la Grande Guerre, Gabriel, quoique réformé pour problèmes physiques, s'engage dans la Marine, mettant à profit ses connaissances linguistiques acquises lors de ses voyages.

Il effectuera son service essentiellement sur la petite île grecque de Castellorizo, face à la côte turque, où il assiste à des combats entres forces alliées et ottomanes.

Parmi ses nombreuses vues de l'île figurent ces deux aquarelles étonnantes représentant un porte-avion anglais atteint par des batteries turques.

Toujours en mouvement, Gabriel entreprend également des fouilles à Fustat, ancienne capitale de l'Égypte, autre lieu de l'architecture arabe des origines.

Ces recherches feront l'objet de sa thèse complémentaire, ce qui lui permettra, ce qui est rare sans le milieu des architectes, d'entamer une brillante carrière universitaire.

SYRIE et LIBAN

En 1925, Gabriel est invité en Syrie et au Liban pour intervenir sur des sites archéologiques. Il en profite pour découvrir l'architecture ommeyade de Damas et Alep, ainsi que les constructions byzantines et occidentales du moyen-âge.

Projet de restauration du tripylon de Palmyre (Syrie)

puis vint la Turquie ...

Gabriel avait eu l'occasion de découvrir la Turquie dès 1908, mais c'est à partir des années 20 qu'il va commencer à fréquenter régulièrement ce pays et en faire son sujet d'étude exclusif.

A la suite d'une requête du gouvernement turc auprès des autorités françaises, Gabriel est envoyé à Istanbul pour enseigner l'histoire de l'architecture turque dans la nouvelle université  de la République.

Il va se faire de nombreux amis parmi ses collègues turcs, dont certains vont également jouer un rôle politique important.

Gabriel met à profit ses nombreux séjours dans l'ancienne capitale ottomane pour étudier les innombrables mosquées de la ville. Si quelques autres savants s'étaient déjà  intéressés à ces magnifiques édifices, l'approche de Gabriel se veut plus méthodique en essayant de rendre compte de l'évolution typologique des mosquées.

Mais Gabriel entame également une série de voyages qui vont le conduire dans la partie orientale du pays, jusque-là parcourue par quelques rares voyageurs ou aventuriers qui s'étaient peu préoccupés de ces édifices, dont beaucoup étaient tombés en ruine, depuis les temps de splendeur de l'époque seldjoukide ou des premiers siècles de l'empire ottoman.

Durant ces voyages, Gabriel ne se préoccupe pas seulement  d'architecture, mais également de la vie quotidienne des habitants et de la culture matérielle traditionnelle.

Grâce à son nouvel équipement photographique, il capte, tel un ethnographe, de nombreux aspects de la culture anatolienne qui, dans de nombreux domaines, avait peu évolué depuis les premiers peuplements humains de l'antiquité.

On ne peut que regretter la perte de son autobiographie manuscrite, qui aurait sûrement été un témoignage passionnant sur sa découverte de ces régions alors peu connues de la  Turquie.

Des milliers de clichés sur plaques de verre, en cours de numérisation grâce à un programme de l'INHA*, constituent un trésor documentaire sur des bâtiments ou des paysages aujourd'hui complètement transformés par le développement économique de ces régions autrefois désertiques.

* Institut National d'histoire de l'Art.

Délaissant quelque peu la technique des aquarelles pittoresques de sa jeunesse, Gabriel réalise des relevés  côtés plus rigoureux qui lui permettent, à côté des plans et élévations habituels du dessin d'architecture, de montrer les édifices selon des vues dites axonométriques, à la fois techniques et artistiques.

Gabriel s'attache à relever les édifices les plus caractéristiques de la Turquie, dans le but de réaliser un atlas, région par région, des richesses architecturales du pays.

Une conséquence de son travail sera de montrer l'originalité de cet art, notamment par rapport à  l'art arabe avec lequel les érudits du siècle précédent l'avait un peu confondu.

Gabriel ne cache pas son admiration pour les réalisations du sud-est anatolien, où de multiples échanges entre peuples divers, au gré des invasions successives, ont produit des traditions constructives de grande qualité, favorisées par les ressources locales en pierre.

Ses plus beaux dessins concernent ainsi les édifices de Mardin et sa région, encore réputés pour la compétence des tailleurs de pierre.

Parmi ses travaux les plus réputés figure son étude du développement des remparts de la ville de Diyarbakır

Gabriel s'est beaucoup intéressé à Kayseri, ex-Césarée, qui recèle plusieurs chefs -d'œuvre de l'architecture ottomane des origines. Mais dans cette ville, il regarde aussi le patrimoine civil, les édifices d'habitation, riches ou

modestes, qui participent aussi à la beauté de la ville ancienne. On regrette d'autant plus la disparition récente de ce patrimoine vernaculaire, phénomène général aux villes turques, lancées dans une course effrénée au modernisme.

Les maisons de Kayseri et le patrimoine urbain

De plus en plus Gabriel se montre sensible aux maisons d'habitation, dont la variété de style doit beaucoup aux ressources locales en termes de matériaux de constructions (bois et/ou pierre).

Ses voyages concernent la quasi-totalité de la partie orientale de l'Anatolie, mais en vieillissant, il revient progressivement vers l'ouest.

Par son intérêt pour l'architecture domestique, Gabriel fait œuvre de précurseur dans le domaine de l'histoire de l'histoire de l'architecture au XXe siècle.

Lors de la restauration du fort de Rumeli Hisar, sur le Bosphore, Gabriel conseille les architectes chargées de cette opération.Il sera également consulté pour la restauration de Yedi Kule, le château établi à l'emplacement de l'ancienne Porte dorée byzantine, près de la mer de Marmara.

Même si l'architecture ottomane a accaparé l'essentiel de son activité scientifique, Gabriel n'a jamais abandonné son intérêt pour l'antiquité.

Il joue un rôle clé  dans la création de l'Institut français d'Archéologie d'Istanbul (aujourd'hui IFEA) en 1930, dont il est nommé directeur jusqu'en 1950.

Dans ce cadre il mène, en collaboration avec l'archéologue néerlandaise Emilie Haspels, des fouilles à Yazılıkaya de Phrygie, la cité du mythique roi Midas.

Aspect moins connu de son travail, Gabriel a longuement milité pour la mise en place d'une politique de protection et de "mise en valeur" du patrimoine de Turquie, participant à de nombreuses commissions chargées de reconnaître les ouvrages les plus importants et de définir un cadre législatif pour leur préservation.

A Istanbul, il collabora avec son collègue Henri Prost, urbaniste chargé d'établir pour la municipalité d'Istanbul un plan de développement urbain de l'ancienne capitale byzantine et ottomane.

Finalement, son œuvre protéiforme aura contribué à la reconnaissance de l'architecture turque au niveau international, avec des monographies qui restent des ouvrages de référence, et des études plus générales mettant en évidence le génie propre de l'architecture sur le sol anatolien.

La réouverture provisoire de sa maison à Bar-sur-Aube par Pierre Pinon, fut l'occasion de découvrir, à côté de cet aspect qui lui avait valu le respect des Turcs, un autre Gabriel, jusque-là parfaitement inconnu : l'artiste infatigable qui savait si bien rendre dans ses aquarelles le charme des constructions en harmonie avec le ciel de la méditerranée.

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